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[Alors au trop fragile]
25 mars 2006

Normalement ces jeunes, là, ils sortent le samedi

Normalement ces jeunes, là, ils sortent le samedi soir, ils voient leur bande de potes, comme ils disent, ils se bourrent gentiment la gueule, ils prennent pleins de photos qui vont aller directement sur leurs skyblogs le lendemain. Ils passent le dimanche à potasser les cours, à traîner toute la journée en pyjama, à s'appeler, à se programmer des sorties pour le week-end d'après. Pendant la semaine, ils sont sérieux en cours, ils parlent un peu parce qu'ils s'emmerdent pendant des heures, mais ils notent tout bien, et le soir ils sortent leur agenda et ils font ce qui est écrit dedans, ils bossent pendant deux heures, et une fois qu'ils ont fait ça ils sont bien content de pouvoir rejoindre leur pote msn. Ils fument leur clope à la récré, ils se racontent les derniers potins, et ils lâchent parfois des jurons parce qu'ils ont pas encore commencé à réviser ce putain de bac blanc. Alors que tout le monde sait pertinemment qu'ils ont appris leurs cours régulièrement, qu'ils bossent bien, qu'ils font tout comme il faut, et même mieux encore. Oui, c'est ça, ils excellent. Ils ont réussi à être à l'image du jeune cool et dans le vent, qui est ce qu'il doit être. Studieux, sympa, déconneur, et qui se prend pas la tête. Qui vit, quoi.
Putain, je crois qu'un jour je les ai enviés. C'est bien possible, c'était à mon retour de Chine, c'était à la fin de l'innocence, à la fin de cette enfance étrange, de cette entrée dans l'adolescence trop rapide. J'étais en équilibre entre deux mondes, et j'ai été propulsée chez eux. Je me suis retrouvée au pays des faux-semblants et de l'hypocrisie, du mensonge et des moqueries. J'ai été isolée comme si j'étais pas assez bien pour eux, avec ma timidité accrochée à la peau, avec ma minuscule voix qui n'osait pas s'imposer, avec mes allures de garçon manqué. Je les ai vu regroupés dans la cour, en amis, je les ai vu rire et parler de ce qu'ils faisaient ensemble, et je me suis demandé pourquoi moi j'étais seule. Enfin, pas vraiment seule, mais pourquoi je n'avais pas aussi pleins de supers copains avec qui faire les quatre-cent coups.
Bon Dieu comme j'allais mal à cette époque. Je regrettais Wuhan à m'en arracher les yeux. Je pleurais sur le passé, parce que mon présent était atroce. J'étais qu'une môme et déjà j'y pensais "à chaque fois que le train passe"...
Je sais plus où je voulais en venir. Le but n'était pas de ressasser ce passé. Parce que ça c'est fini, tout ça. L'humiliation, la peur des autres. La tête courbée devant leurs regards assassins. Les larmes. C'est fini, mais ça m'émeut toujours. Et puis de ces petits cons, j'ai gardé ma peur maladive de parler en public, de parler simplement de moi. J'ai gardé le réflexe de me faire toute petite et silencieuse, de me faire oublier. Réflexe de peur.
Alors j'ai jamais été de ces jeunes aux vies trépidantes. Aux vies comme dans les séries télés. Et maintenant je suis contente, parce que quand je les vois, je comprends pas. Je sais pas ce qu'ils foutent. Ils se donnent l'illusion d'exister en parlant plus fort que tout le monde, l'illusion d'être aimés en baisant tour à tour tous les mecs de la bande. L'illusion d'avoir un avenir en bossant bien, et en étant toujours de bonne humeur.
Ils donnent l'impression d'être enviables, bien dans leur tête, dans leur corps. Des ados accomplis, loins de l'image de l'adolescent replié sur lui-même et pas sûr de lui.

Mais en fait, ils sont devenus fades trop vite. Ils sont devenus ces adultes sur lesquels ils crachent. Avec leurs petites habitudes, leur impression de s'éclater parfois, leur boulot qui les accapare. Avec cette fierté de bien tout faire, de ne pas se laisser aller, d'être à l'aise. Avec ces mensonges qui leur transpire par tous les pores, ces histoires qu'ils racontent les uns sur les autres. Avec cette politesse feinte, déjà. Ce manque de franchise qu'ils ne semblent pas déplorer. Ils sont ce qu'ils croient refuser, ils reproduisent le modèle parental à l'infini, et ils rient.
Et surtout, surtout, ils parlent avec concupiscence avec nous. Nous, les paumés, les fades, les tristes, les ennuyeux, les introvertis, les gentils,les délirants, les fous. Nous, les pas comme eux, devrais-je dire. Ils nous parlent et nous méprisent plus que nous les méprisons. C'est comme deux mondes qui ne se comprennent pas. Qui se frôlent sans jamais se toucher vraiment. Qui se tolèrent mais ne se supportent pas.

Ce soir, j'ai une putain d'envie de me griller une clope. De sortir dehors, prendre l'air frais, de regarder les étoiles, les quelques étoiles qui survivent à cette foutue pollution. J'ai envie de me griller une clope, mais j'ai arrêté de fumer. J'ai pas l'âge pour devenir raisonnable, mais depuis que le tabac me rend malade, j'peux plus. J'ai envie de me griller une clope et de trembler un peu, et de regretter d'être toute seule dehors. De porter une bouteille à mes lèvres, aussi. Pour que ça passe mal, et que je frissonne, et que je sente l'alcool marquer ma langue. Pour que je vois le monde en un peu plus flou, après.
J'ai surtout envie de vivre, mais c'est con, ça me prend toujours à des heures pas possibles. Et des jours pas possibles aussi. Faut croire que c'est jamais le bon moment. Et quand je vis, j'm'en rends pas compte, ou seulement après, et je regrette de ne pas m'être impregnée de chaque seconde. Je me repasse le film en boucle dans ma tête, mais il manque des bouts, des détails qui sur le moment ne m'ont pas marquée, mais dont j'aurais aimé me souvenir ensuite. Et c'est trop tard.
Ca fait qu'il reste plus qu'une putain de solitude à étreindre entre des draps trop étroits. Et parfois des larmes qui surviennent dieu sait d'où, pour tout ce qu'il faudrait vivre, et pour le temps que je cherche à saisir.
Parfois je me dis que je perds mon temps en étant là. Là c'est partout ou ailleurs. En cours bien sûr, quand ils sont inutiles, et puis devant cet écran. A mon bureau aussi. Un peu partout. Je perds mon temps parce que je ne me souviens pas de chaque instant. J'angoisse de me coucher chaque soir en ayant l'impression que je viens de faire ces gestes, en ne pouvant saisir la journée passée. J'angoisse de survoler ma vie.
Et c'est dans ces moments-là que je pense que ma vie, je l'écris. C'est ça ma vie, c'est ces mots. Ces mots que vous lisez, ou pas. Que j'éparpille un peu partout, au gré de mes envies. Que je griffonne sur des feuilles volantes, sur des carnets, sur des bouts de papier, partout. Ces mots que j'écris pour ne pas oublier ce que j'ai vécu, mais surtout ce que j'ai ressenti. Pour me prouver que j'existe, et que j'ai des sentiments. Que je suis plus qu'une bête qui subit ce qui lui arrive, plus que cette fille indifférente et froide que je me surprends à être parfois. Plus que celle qui n'arrive pas à ouvrir son coeur quand il le faut, à se dégeler dans le réel, dans ce qui ne se dit pas mais se fait. Je suis plus grâce à ces putains de mots, qui me font trembler de rage, me font pleurer sur moi. Et tous ça, tout ça me prouve que j'existe, que j'ai ces sentiments à la con. Que je suis bel et bien. J'en ai besoin comme d'une drogue pour avancer. Pour donner un sens à ma vie.
Qu'est-ce qu'une fille indifférente pourrait faire à part crever ? Si je me contentais de vivre seulement, j'aurais beau me demander cent fois pour quoi, pour qui, je trouverais pas. Mais il faut se dédoubler pour être. Il faut mettre de côté Laure, et devenir Lissadell. Ou l'inverse. Il faut toucher la corde sensible, qui se cache. La faire ressortir coûte que coûte, même si ça doit arracher du sang et des cris. Même au prix de sa main enserrant mon poignet jusqu'à en être bleue. Quand les mots débordent dans le réel, quand le ressenti se prend à exister vraiment, l'hystérie me gagne et je délire. Mais au moins je suis.
Alors mon but à atteindre, c'est de réussir un jour, à parler de moi comme je le fais maintenant, mais à en parler, avec mes cordes vocales. En regardant quelqu'un dans les yeux. Sans être paralysée par la peur, sans avoir le regard fuyant, sans en avoir la voix qui se coupe de douleur. Réussir à me dire, comme on voudrait m'entendre, sans avoir mal à en crever d'être bloquée, sans que les larmes ne coulent, de rage de ne savoir que me taire. Un jour, j'y arriverai.

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Commentaires
L
Oui enfin les angoisses existentielles de ne pas être la star du lycée, m'indiffèrent totalement.<br /> (J'irais presque jusqu'au mépris, même, tellement c'est ridicule.)<br /> <br /> Mais aïe, comme dirait l'autre.
P
Aie. *peur*
E
je me retrouve tellement dans tout ce que tu dis.<br /> Ca sonne si vrai si vecu.Tu n'es pas la seule a ressentir cela.Et meme ceux que tu pretend etre surs d'eux font plus de bruit que toi car ils angoissent a l'idée de ne pas etre les stars du lycée.Qui n'arretent pas de surencherir.A croire c'est sans fond.<br /> Bien que cela fasse 3 ans que j'ai quitté le lycée , le monde du travail lui n'est pas si éloignée.Parfois ya encore un arriere gout de tout ca.
P
Hein ? :)<br /> (si si, mais meme)
L
Mais non, le "ouais... " c'était pour la réflexion sur l'après-Wuhan.<br /> Tu comprends rien.
[Alors au trop fragile]
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